Le ronflement lointain de la vie n'articule plus aucun son, le vacarme de la ville mute aphone. Les secondes s’égrènent lentement, comme la roue arrière d’un vélo abandonné dans le bas fossé qui, acculée à poursuivre quelque moment sa course éperdue, tourne de moins en moins vite, rayon après rayon, seconde après seconde. Cling cling cling! L’inaltérable cling! course du temps cling! qui finit par s’immobiliser cling! un bref instant. cling! Le froid. Tout se fige. Un monde de silence m’entoure. Clang! L’angoissante pression du temps en suspens. Clang! Avant de repartir clang! lentement clang! en sens inverse clang clang clang!
Mon métabolisme se remet en route, mes sens cahotent, mes fonctions vitales hoquettent. L'indéfinissable brouhaha alentour resurgit progressivement. Tout semble identique, mais plus rien ne l’est : le bourdonnement de l'existence, le bruissement ambiant, le chuintement du vent de l'océan, le clapotement des vagues, le cadencement de la temporalité… Une sensation de déjà vue ou plutôt de déjà vécu s’insinue en moi…
En contrebas, dans un chaos de rochers modelés par les embruns, allongée sur une étroite plage de granit, une jeune femme légèrement vêtue, profite du soleil et scrute la capricieuse étendue d’eau. Les jumelles m’ont déserté, pas même ne reposent-elles sur le muret.
Subitement j’entends : « Tu me diras si elle a la marque du maillot ? Et quel âge elle a ! » A mes abords est réapparue la femme, le marmot, le landau et le mari muni des jumelles. Instantanément, résonne en moi l’énigmatique phrase relevée sur les lèvres : « Viens, rejoins-moi, il n’est pas trop tard, dépêche-toi, cours ». Et là, en un quart de seconde, je réalise ! Je comprends que le temps est en train de m’échapper, qu'inexplicablement sa course s’inverse et que mon seul salut réside dans cette fuite en avant, vers cette mystérieuse femme sur les rochers.