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La bête immonde (Part I)

  Quand Ginger Hole rentra chez elle, peu après 19 heures, elle découvrit son époux stoïquement en train de peler  des carottes au dessus de l’évier de la cuisine. A la vue de cette scène peu coutumière, l’ombre d’un doute traversa son esprit. Afin de ne montrer une quelconque surprise, elle se recomposa, d'un clin d’œil, un air enjoué et lui lança un « bonjour » qui n’obtint aucune réponse. Elle n’en fit cas et entama une conversation qui se voulait réjouie mais qui, au fil des phrases, évolua en un long et pesant monologue. Nulle réponse à ses questions, pas le moindre mot ne s’échappait de la bouche de son conjoint qui, telle une machine programmée à une fonction unique, continuait à éplucher avec application les carottes.
  Soudain, le mécanisme stoppa. Il reposa l’économe et, du revers de la main, fit basculer le tas d’épluchures dans la poubelle qu’il avait ramené du pied vers lui, puis il se tourna enfin vers elle. C’est alors qu’elle aperçut ses yeux vitreux des mauvais jours. Il s’approcha d’elle, lui prit la main et lui dit simplement : « viens !».
  Ils parcoururent tous deux le couloir qui, de la cuisine en passant par l’entrée, menait à leur chambre. Avec appréhension, elle se laissait conduire au rythme saccadé de la démarche robotique de son époux. Elle avait du mal à réprimer la petite boule d’angoisse qui se formait dans le creux de son estomac. Il la fit asseoir en bout de lit et vint se mettre à ses côtés, contre son épaule. Le regard vide de sens, fixant l’hypothétique horizon du mur, il demeura silencieux.
 Ginger sentit la boule remonter sournoisement du ventre vers sa gorge. Elle était persuadée qu’une catastrophe venait de se produire et que son mari ne parvenait pas à lui dire. Sa tête se mit à tourner, elle se vit défaillir, tant l’inquiétude la tenaillait, l’angoisse l’étouffait. Elle se reprit et, balayant toutes supputations, le questionna avec plus de véhémence :
- Mais enfin, tu vas me dire ce qu’il se passe ?
 Au lieu de répondre, il s’écarta d’elle. Ginger fut surprise mais continua à l’interroger. L’abattement avait disparu, maintenant elle voulait savoir. Mais chacune de ses questions l’éloignait un peu plus, si bien que rapidement il se retrouva à l’opposé d’elle, à l’autre extrémité du lit.
  Incrédule, Ginger regardait le corps de son mari se blottir contre le mur, ses mains agripper l’oreiller pour masquer son visage. Puis, il se mit en boule, roula du lit jusqu’à la chaise de la coiffeuse et trouva refuge derrière elle, tel un enfant terrorisé qui cherche à se cacher. Son corps tremblait de tous ses membres, sa respiration se faisait haletante, son regard exprimait la terreur.
C’est à ce moment que son fils apparut sur le seuil de la porte.
- Vite Marco, ton père est en train de péter un câble, il faut appeler le docteur ! Lança-t-elle.
  C’est alors que, telle une bête furieuse jaillissant de son antre, il s’extirpa de sa cachette. Ginger eu juste le temps de franchir la porte. Le visage démoniaque, les muscles du faciès durcis, comme statufié, les poings en l'air menaçant à tout moment de la frapper, il la rejoignit. Les grognements de son mari transformé en bête immonde ajoutaient à sa peur qui faisait de plus en plus part à la panique. Avec l'énergie du désespoir, elle tenta de faire écran afin de protéger son fils, de le sauver de la fureur.
  Une explosion soudaine de jurons et de mouvements désordonnés déferla sur elle. Elle valdingua contre le mur du couloir et prise dans la tempête, se retrouva bientôt à terre. Elle vit  l’énorme masse l’enjamber, se précipiter dans le couloir libre d’accès et s’abattre sur son fils. Miraculeusement, ayant trouvé refuge dans les toilettes, ses bras ne brassèrent que le vide.
Ginger ne put étouffer sa détresse à la vue d'un tel spectacle et s’effondra en pleurs. Alors la bête, un genou à terre, la regarda d’un air hébété, …

(A suivre...)

Jack Monster, © 2007, tous droits réservés.

Commentaires

  • Je ne cesse d'être impressionné par ce talent que tu as pour attirer l'attention de ton lecteur dès les premières phrases.
    "La bête immonde" ne déroge pas à la règle et nous sommes pris de suite à la gorge, avide de lire cette intrigue haletante.
    Pas de temps mort, du rythme, on suit la scène à travers le regard de Ginger grâce à ton habilité narratologique (narrateur omniscient et style indirect libre).
    j'ai beaucoup apprécié l'évolution progressive de cet homme qui du silence passe au repli sur soi pour laisser exploser sa violence.
    Bravo pour ta maitrise et ce style si précis et réjouissant.
    Amicalement.
    PAT

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