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Résurgence (PART III)

  Insensiblement, tout autour de moi, le monde se transforme, s'enrobe d'une tonalité indéfinissable. Le cri des mouettes prend un timbre plus grave, le fracas de la mer s’alanguit. Le temps se distend infiniment, entonne une résonance inconnue. Le battement de mon cœur ralentit, ma respiration devient atonique. Mon esprit élastique s’étire sans fin. Étrange sensation qu’une part de mon être se fige, tandis que l’autre s’éloigne. Les repères s’estompent, mon univers se referme sur lui-même, se rétracte, s’étouffe.
  Le ronflement lointain de la vie n'articule plus aucun son, le vacarme de la ville mute aphone. Les secondes s’égrènent lentement, comme la roue arrière d’un vélo abandonné dans le bas fossé qui, acculée à poursuivre quelque moment sa course éperdue, tourne de moins en moins vite, rayon après rayon, seconde après seconde. Cling cling cling! L’inaltérable cling! course du temps cling! qui finit par s’immobiliser cling! un bref instant. cling! Le froid. Tout se fige. Un monde de silence m’entoure. Clang! L’angoissante pression du temps en suspens. Clang! Avant de repartir clang! lentement clang! en sens inverse clang clang clang!
   Mon métabolisme se remet en route, mes sens cahotent, mes fonctions vitales hoquettent. L'indéfinissable brouhaha alentour resurgit progressivement. Tout semble identique, mais plus rien ne l’est : le bourdonnement de l'existence, le bruissement ambiant, le chuintement du vent de l'océan, le clapotement des vagues, le cadencement de la temporalité… Une sensation de déjà vue ou plutôt de déjà vécu s’insinue en moi…
  En contrebas, dans un chaos de  rochers modelés par les embruns, allongée sur une étroite plage de granit, une jeune femme légèrement vêtue, profite du soleil et scrute la capricieuse étendue d’eau. Les jumelles m’ont déserté, pas même ne reposent-elles sur le muret.
  Subitement j’entends : « Tu me diras si elle a la marque du maillot ? Et quel âge elle a ! » A mes abords est réapparue la femme, le marmot, le landau et le mari muni des jumelles. Instantanément, résonne en moi l’énigmatique phrase relevée sur les lèvres : « Viens, rejoins-moi, il n’est pas trop tard, dépêche-toi, cours ». Et là, en un quart de seconde, je réalise !   Je comprends que le temps est en train de m’échapper, qu'inexplicablement sa course s’inverse et que mon seul salut réside dans cette fuite en avant, vers cette mystérieuse femme sur les rochers. 
  D’un bond, j’enjambe le muret et cours éperdument dans sa direction. Courir-mourir ! Mon cheminement sur les rochers est malaisé, plusieurs fois je manque de me briser les os. Mais je n’ai pas d’autre alternative. Instinctivement, comme un animal en danger, je pressens que le temps presse, qu’au plus vite il me faut rejoindre cette femme qui manifestement me dépêtrera de cette situation inique. Courir-mourir ! Je saute de rocher en rocher et, à chaque faîte, je jette un regard anxieux pour m’assurer qu’elle ne s’est pas soustraite.
 
(A suivre...)
Jack Monster, © 2007, tous droits réservés.

Commentaires

  • Superbe, la description de la roue de vélo, l'homme qui se perd et puis se retrouve et enfin il fuit, il fuit en avant.
    J'adore la petite rime discrète pour les mots de la fin.
    A quand la suite? Je n'ai pas la plus petite idée de ce qui va venir ...
    Thierry

  • Il y a de la musique dans ce texte ! Un peu comme une corde de guitare trop tendue qui finirait par céder. J'entends le son et ressents l'angoisse. Il y a du rythme aussi :))
    Bravo !!! J'attends la suite...
    Donc, à bientôt.

    isabelle

  • Très beau. J'ai beaucoup aimé le tintement du vélo également. Les onomatopées sont, avec le langage gestuel, à la base du langage de l'homme. J'aime lorsqu'on les utilise, surtout à bon escient comme ici, avec un rythme tout à fait intéressant.

    Courir-mourir... C'est joli. Courir et fuir pour oublier le présent?... Courir vers une illusion, c'est déjà courir, et ça prouve que l'on est vivant. (c bp)

    A la semaine prochaine
    Bise
    C.

  • Le temps qui ralentit et semble exploser dans la tête, c'est superbe mais angoissant. Fais le vite avancer ce temps pour que nous sachions enfin la suite.
    Je veux savoir
    Elfesaphir

  • Les rayons du vélo pour marquer le temps qui s'écoule... tournant comme les aiguilles d'une montre... la vie et la mort pour un seul corps...

    J'ai encore aimé... j'attendrai patiemment la suite... sourire

    Amitiés

  • j'ai bien aimé ta comparaison entre la roue du vélo et la perte des repères. Beau passage.
    dans cette 3ème partie, le monde intérieur supplante le monde extérieur et la vision de ton narrateur s'en trouve modifié. Ta description du désarroi, de l'égarement est très bien rendue et est d'un réalisme saisissant. "Les repères s’estompent, mon univers se referme sur lui-même, se rétracte, s’étouffe."
    Tu écris "l'enfermement" qui dans un monde ouvert accroit le désarroi.
    Je pars lire la dernière partie.

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