Je ne me souviens ni pourquoi, ni comment je me suis retrouvé dans cette pièce. J’ai la tête lourde. Je dois faire l’effort de me souvenir, de rassembler mes idées, de mettre de l’ordre dans ma pensée décousue. Reprendre le début de l’histoire, recaler les images du film : l’enseigne lumineuse de la station-service qui surplombe au loin, le voyant vert qui clignote sur le tableau de bord, la voiture qui se déporte sur la droite pour emprunter la voie de décélération…
Je quitte la voiture. Il fait encore nuit. Il bruine, la chaussée luit sous les lumières de la station. Non, il ne pleut pas, un vent frais balaie l’aire d’autoroute. Je suis face au distributeur de carburants. Son apparence me laisse dubitatif. Une sensation étrange, que je ne saurais définir de prime abord, me saisit. Il présente un aspect inhabituel… Il n’est pas pourvu de tuyaux ! Sur l’écran numérique de l’automate, défile une instruction que je peine à lire : «… Sélectionnez votre boisson et insérez votre monnaie … » Je ne comprends pas les images indomptables qui défilent sous mes yeux. Je ne suis pas en mesure de les analyser ; mon esprit est par trop confus.
Je franchis le seuil de la boutique de la station-service. Un coup d’œil à droite pour vérifier l’emplacement des toilettes ; je suis en face des pissoirs. Je me vois descendre la fermeture du pantalon, sortir l’organe, décalotter, pisser… Comment puis-je me voir ? Là, face à moi, il y a une glace. Un robinet équipe la vespasienne. Un robinet ?! Une glace, un robinet, mais c’est un lavabo alors !
Un homme entre, il se dirige vers les urinoirs. Des yeux, je le suis dans le miroir. Il a le torse dévêtu. Non, il porte une veste grise ; c’est moi qui suis torse nu. Il me regarde d’un œil bizarre. Il pue. Il sort un rasoir. Non, c’est moi qui me rase, qui urine. Non ! Je…je ne sais plus. Je me rase ou j’urine ? La situation me fuit, j’en perds le contrôle. Tout s’emmêle dans mon esprit. Lui c’est moi ou moi c’est lui ?
Je m’esquive. Face à moi, se dresse le bar. Le bar ? Il n’y a pas de bar ! Je m’égare, probablement est-il établi ailleurs. D’un mouvement circulaire je scrute avec minutie l’immensité de la salle d’où sourd un constant brouhaha. Elle est aménagée d’une multitude de petites tables. Des gens attablés discutent avec pétulance autour d’une boisson chaude, d’un jeu de cartes ou de petits chevaux. D’autres personnes, comme des ombres chancelantes, déambulent en d’incessantes allées et venues le long des travées de tables, marmonnant parfois d’incompréhensibles dialectes secrets ou, soudainement, s’esclaffant de faits perceptibles que d’elles seules. D’autres encore somnolent dans des fauteuils agencés autour d’un poste de télévision qui diffuse une émission de variété. Une tenace impression de grand désordre, de délaissement suinte des murs de l’enceinte.
(A suivre...)
Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.