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L'échange (Part II)

Mais, qu’elle était fière! Qu’elle m’agaçait à me considérer ainsi, à me repousser constamment, à me blesser, à triturer mon amour propre! La rame s’est arrêtée et elle est descendue, comme moi, à Pyramide. Dernière chance inespérée ? Saisir l’occasion, pas de face  mais de dos. Lâche ? Avais-je vraiment le choix ? C’était ridicule, mais j’en faisais presque une question de vie ou de mort!
Je me trouvais quelques marches d’escalator en contre bas d’elle. Elle m’apparaissait de plein pied, cuirasse parfaite aux lignes régulières et harmonieuses, qui imperceptiblement émouvait, troublante silhouette, pleine de grâce, se découpant dans le triste décor de notre  contemporanéité. En ces instants magiques, où rien n’est réel ni tout à fait irréel, à cette frontière diffuse où l’emprise du temps se délite, les secondes se décomptent alors en années…
Je fichai mon regard dans son dos comme l’on plante un poignard. De douleur, j’espérais qu’elle se retournerait. Soudainement sa tête pivota et son visage se profila sur l’écran de mes rêves. Elle se laissait distraire, par le défilement des affiches publicitaires, l’œil traînant, comme pris de vitesse.
Me voyait-elle ? Je ne pouvais être affirmatif. Elle arborait maintenant un air plus affable, les traits du visage adoucis, l’esprit rasséréné. Seul le tapotement de ses doigts sur la rampe, accompagnant pianissimo une musique seule connue d'elle, trahissait encore une légère marque de contrariété, pas totalement dissipée. Elle avait baissé sa garde et je la discernais maintenant telle qu’elle devait se comporter naturellement, quand elle se recouvrait seule avec elle-même.
Arrivée au dernier palier, elle prit la direction de la sortie numéros impairs tandis que, las, je me dirigeais vers les numéros pairs.
Dans la rue, reprit la marche de mes préoccupations, le réveil de mes sens à l’orée d’une nouvelle semaine de travail qui, d’ici quelques mètres, s’amorcerait sans tarder. Je tentais de me remémorer – son regard pénétrant - la longue litanie d’un planning ficelé au centième de secondes près, de considérer - ses yeux noirs de désir - la meilleure façon de mener à bien mon premier rendez-vous client, si déterminant  pour le reste de la journée - vivre en elle quelques secondes - et même parfois de la soirée, de caser une course personnelle sur l’heure du déjeuner,  de rassembler mes esprits - le délicat battement de ses cils - afin que tous tendent dans la même direction.  L’évacuer de ma pensée - la dévêtir de son voile opaque -  pour ne pas parasiter ma journée. Mais peut-on réellement effacer - voler son regard  - une encre indélébile noire ?!
Touche suppression : « Voulez-vous vraiment supprimer cette femme de votre esprit ? » - la sensualité du teint mat de sa peau - Touche Oui.
Un crissement de pneus suivi d’un choc me fit sursauter. Je me retournai et je vis ce corps de déesse étendu sur le bitume, inerte, statufié dans son aura irréelle. Je m’approchai et m’agenouillai à portée de soupirs, de quelques notes d’espoir, proche de ce visage paisible, exempt de souffrance, serein, de ces grands yeux ouverts tournés vers l’extérieur, pépites noires, qui me fixaient comme à la recherche d’un soutien ou d’une compréhension, qui m’appelaient dans l’au-delà de nos vies, et mon regard de s’alanguir, de s’enfoncer irrépressiblement dans le trou noir de ses pensées intimes...
Déjà le funeste chant des sirènes des ambulances et pompiers s’égosillait, les secouristes s’affairaient. Je m’écartai. Jamais je ne saurais pourquoi elle avait subitement décidé de retraverser l’avenue. S’était-elle tromper de sortie ou avait-elle fini par entendre mon message ?

(Fin...)

Jack Monster, © 2007, tous droits réservés.

Commentaires

  • Un petit moment pour lire ces deux parties. (clavier americain, pas d`accents, sorry) Je suis seduite par la seconde, un peu moins par la premiere, votre description de la femme fatale, me pause probleme. Mais la deuxieme est superbe. J`aime bien le melange de l`agenda et des images de la femme qui reviennent. La fin est tres belle. Feliciations, prendrais plus le temps d`ecrire a mon retour ce week end.

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