Le téléphone sonne chez le Doc et le tire d'un profond sommeil. Amorphe, il regarde dubitatif son réveil qui indique une heure très matinale, comprend que c'est la sonnerie du téléphone qui vibre dans sa tête, décroche le combiné et répond d'une voix peu affable :
- « Allo, Docteur Harry… »
- « Doc, on a besoin de vous! Un noyé, enfin une, sur la plage de Downdown. »
Le temps de se débarbouiller puis de s’habiller et il file. Encore ensommeillé, il pense au café qu'il n'aura pas le temps d'avaler au Little Down, le pub de Ted. Il y a bien longtemps qu'il ne s'y est pas rendu, depuis...
La dernière fois… C'est avec moi! On a l'habitude d’y prendre nos cafés. C'est ici qu'il m'a connue, c'est ici que je le quitte. Inéluctablement.
Harry, marié sans enfant à une certaine Laury, habite une petite bourgade située à une quinzaine de kilomètres de Downdown où il exerce. Tous les matins vers 8 heures, Harry passe avant sa première consultation. On s’amuse à prendre notre petit déjeuner au pub, chacun d'un côté du bar, on joue au jeu de la séduction entre la barmaid et le client, on s'échange des baisers à la dérobées, on s'écrit des mots doux sur les tickets de caisse… Ted, le patron, nous regarde parfois avec agacement, mais il se résigne à n’en souffler mot.
Donc, le jour de la séparation, je passe de l'autre côté du bar et je l'entraîne vers une table un peu à l'écart. Je le regarde fixement dans les yeux et lui déclare simplement : "Harry, c'est fini". Il me dévisage, presque la larme à l'œil. Il ouvre la bouche, mais aucun mot n'en sort. A quoi bon rajouter quelque chose. Cela fait en réalité bien longtemps que c'est fini. On se voit très peu, souvent au pub, parfois dans une chambre d’hôtel les rares soirs où nous sommes libres en même temps. Il est le seul docteur du district et le Little Down est le seul débit de boissons. J'ai le courage de le dire, il le sait.
Du sommet de la falaise, je surplombe toute la baie, cent quatre vingt degrés d'un décor majestueux, la mer à perte de vue, où certains jours elle ne fait qu'un avec le ciel. Le soleil se lève, la mer est calme, presque étale. En contrebas, la petite plage de Downdown où mon corps a fini par s'échouer, hissé par la marée montante puis délaissé par le reflux. Des traces de pneus se dessinent sur le sable humide et mènent à un 4/4 bleu marine surmonté d'un gyrophare dont l'éclair stressant tournoie sur les parois rocheuses alentours. La plage est le théâtre d'une activité inhabituelle, des hommes courent en tous sens, gesticulent de manière désordonnée, braillent à perdre la voix et semblent jouer un ballet difficile à interpréter. Ils ont tiré mon corps et un attroupement s'est formé. Je ne parviens pas à l'apercevoir, tant ils sont nombreux autour de moi, enfin de mon corps. S'il me restait encore un souffle de vie, je serais morte étouffée tant ils m'oppressent.
La pluie redouble d’intensité, je frappe désespérément à la porte…
(A suivre...)
Jack Monster, © 2007, tous droits réservés.