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la rencontre

  • La rencontre (PART V et FIN)

    - Ne me faites pas de mal !

    - Pourquoi vous ferais-je du mal ?

    - Vous êtes une personne dangereuse, je le sais. Une personne incontrôlable.

    - Alors pourquoi m’avez-vous délivré ?

    - Parce que je ne voulais pas que vous mutiez.

    - Que je mute ? Que voulez-vous dire par muter?

    - Ils allaient se livrer à des expériences sur vous.

    - Des expériences ?

    - Ce matin, ils devaient vous emmener au labo et vous injecter un produit expérimental.

    - Qui ça « ils » ?

    - L’équipe de recherche expérimentale.

    - Je ne comprends rien à cette histoire. Et puis qui êtes-vous ?

    - Je suis Vass.

    - Vous n’êtes pas Vass. Vous vous appelez Vassilia. Nous nous sommes déjà rencontrés, il n’y a pas très longtemps, dans un café. Vous vous souvenez ?

    - Non, je ne vois pas de quoi vous parlez. Je ne connais pas cette Vassilia. Je travaille ici comme laborantine.

    - Mais où suis-je donc ?

    - Vous êtes à la Clinique Psychiatrique Château du Grand Air.

    - Comment suis-je arrivé là ?

    - Je ne sais pas si je peux vous le dire.

    - Comment ça? Arrêtez vos mystères !

    - Vous n’avez pas d’existence légale.

    - Que voulez-vous dire ?

    - ...

    - Expliquez-vous !

    - Je ne peux vous en dire plus. Vous êtes entré par erreur dans la clinique. Vous n’étiez pas prévu dans le programme. Il fallait vous faire disparaître. C’est pour cela que vous avez été choisi comme cobaye pour des expériences scientifiques.

    - Quel genre d'expériences?

    - Je vous l'ai dit, une mutation génétique.

    - A quelle fin ?

    - Je ne sais pas, mais les objectifs ne doivent pas être très avouables.

    - Et qu'est-ce qui...

    - Chut ! Cessez de me poser des questions. Il faut songer à fuir maintenant et à sortir d'ici. Nos destins sont liés à présent.

     

      Une onde de ravissement brûle mon visage. La perspective de suivre cette femme, de s’échapper avec elle, de croire que notre survie dépende l’un de l’autre m’enchante. D’un regard direct je la dévisage, peut-être même je l’envisage déjà. A cette idée, un sourire se dessine sur mes lèvres. Il est temps de partir avant qu’ils ne nous retrouvent.

    - Oui, vous avez raison, et je me sens obligé de rajouter : Filons !

    (Fin de l'épisode...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART IV)

    Un cri aigu, certainement féminin, déchire l’étoffe opaque des lieux. Je me retourne, mon regard cherche à déterminer sa provenance. Rien, rien ne se distingue dans cette obscurité. Seule filtre une respiration haletante qui se répercute en écho sur les parois et témoigne de la peur qui s’insinue. Je m’avance prudemment, mon pied roule sur quelque chose de cylindrique, difficilement définissable, un genre de tuyau, tout à la fois flasque au contact et ferme en profondeur. Je le sens se tortiller sous ma semelle, ram… ramper. C’est une matière vivante ! Tel un warning, l’image d’un serpent clignote dans mon esprit et, à mon tour, je pousse un cri d’effroi en dégageant mon pied. Mon corps frémit, quelques gouttes froides de sueur perlent sur mon front et dégoulinent le long de mon visage. Je n’ose m’avancer davantage.

    Tout près, face à moi, le souffle par à-coups brefs s’amplifie. Enfermé dans cette pièce avec moi, je n’ai pas réussi à définir l’Autre, à le conceptualiser, à l’imaginer. Est-ce une personne, patiente ou infirmière et dans quel camp se situe-t-elle, amie ou ennemie ? Ou est-ce plutôt un animal, amical ou agressif, dominateur ou dominé ? A moins qu’il ne s’agisse d’une créature tout droit sortie de nulle part, divine ou maline, rêve ou cauchemar ?

    Je me perds dans ces considérations, mes sens flageolent, la panique tétanise mon corps. La peur s’empare de moi, monte progressivement comme le niveau de l’eau dans les cales d’un navire qui s’échoue, de mon sexe roide vers la raison amollie, la peur de l’inconnue, la peur mutuelle de l’autre. Nous nous épions dans le noir, à l’écoute du moindre bruit trahissant le geste, la tentative qui va faire basculer définitivement la situation dans un sens ou dans l’autre.

    Mes doigts tâtent lentement le mur à la recherche de l’interrupteur. Il y a d’abord le déclic du levier qui résonne définitivement dans le silence soudain de la pièce, puis la lumière et les yeux qui clignent et enfin la réponse visuelle. Le soulagement d’un côté, la reddition de l’autre.

    Dans le coin, recroquevillée sur elle-même, dans une forme d’abandon total, la tête baissée, le visage enfoui dans les genoux, les bras recouvrant, telle une carapace, les jambes rabattues contre la poitrine, elle se livre vaincue. Je reconnais immédiatement le duvet brun des avant-bras, l’effluve musqué de son épiderme effrayé, la chaînette qui ceint son poignet. Vass ! Machinalement, mes doigts entrechoquent les perles d’un bracelet en lanières cuir tressées qui gît inexplicablement dans le fond de la poche de mon pantalon.

    Je m’approche, elle relève lentement la tête. De longues mèches lisses noires s’ouvrent telle un rideau de théâtre et laissent apparaître son visage. De grands yeux bruns embués interrogent, des traces humides serpentent entre les grains de beauté qui maculent son minois. Ressemblance troublante qui mène à la confusion des sens.

    - Ne me faites pas de mal !

    - Pourquoi vous ferais-je du mal ?

    - Vous êtes une personne dangereuse, je le sais. Une personne incontrôlable.

    - Alors pourquoi m’avez-vous délivré ?

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART III)

    Un bruit métallique me fait sursauter. Là, au beau milieu de la pièce, une clé rebondit sur le sol à la manière d’un galet lancé sur la surface de la mer. Sans réfléchir, d’un bond je m’en empare et déjà je crochète la serrure qui finit par céder. Je tire énergiquement la porte. Des bruits de pas précipités résonnent dans le couloir. A peine ai-je le temps d’apercevoir la personne qui détale à grandes enjambées. Elle vient de tourner à l’angle du couloir. Instinctivement, je me mets à la courser. Je ne saisis pas la situation, mais j’ai la conviction que je dois la rattraper. Je ne suis pas dans mon état normal : un mélange d’excitation et de peur me serrent le cœur.

    Je cours à fond sans me soucier de la direction à prendre. Les couloirs sont longs et rectilignes. Ils sont entrecoupés à angle droit d’autres couloirs, véritable quadrillage d’une feuille de cahier d’écolier. Les portes des chambres défilent à cent à l’heure. J’entends de temps à autres des grognements ou de légères plaintes. A chaque intersection, je marque une hésitation qui me fait perdre un temps précieux et du terrain. Bientôt, je serai complètement distancé. Elle court vite, trop vite pour moi. Je m’affaiblis, je ne respire plus, je m’asphyxie. Je me perds.

    Il m’a semblé apercevoir son ombre au tournant à gauche. Le couloir est désespérément désert. Je m’arrête pour souffler et tends une oreille captive du moindre indice sonore : pas un bruit de pas, un silence oppressant, tout juste troublé par le grésillement stressant d’un néon défectueux diffusant une lumière blanchâtre stroboscopique.

    Je m’égare dans une infinitude de couloirs, à la dérive. Ils sont particulièrement laids. Le sol est peint en gris et les murs d’un dégradé de couleurs toutes plus moches les unes que les autres. Les teintes semblent varier par bloc. Elles vont du vert tisane au mauve ecclésiastique, en passant par toutes les nuances bleuâtres et rougeâtres. Je n’en connais pas la signification. Je viens du secteur vert et je suis maintenant dans le secteur rouge…

    Des voix, des pas, oui ce sont bien des voix et des pas. Figé en plein milieu d’un couloir démesurément long, je dois fuir. Ils ne vont pas tarder à apparaître au coin. Les pas se rapprochent. Pas le temps de courir jusqu’à l’autre extrémité. Je suis coincé. Je presse la poignée de la première porte qui se présente à moi. Pas de résistance, la porte s’entrouvre sur une pièce plongée dans la pénombre. Le contour du mobilier se distingue à peine. Pas le choix, j’entre et referme la porte derrière moi.

    Les voix se font plus audibles. Elles parlent d’une chambre, 212, je crois, qui a été découverte ouverte. Le patient s’est échappé. Il erre dans la clinique. Il faut le retrouver au plus vite car il n’a pas d’existence légale. Je retiens mon souffle, les voix passent, le silence reprend ses droits. Je décolle mon oreille de la porte et recule légèrement. Un cri surgit derrière mon dos.

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART II)

    Le temps se distend indéfiniment en sa compagnie. Nulle unité de mesure ne semble encore faire foi. Un à un je détaille les nombreux grains de beauté qui l’embellissent et entreprends de les recenser : 1 sur la joue droite, 1 sur la narine, 1 au-dessus de la lèvre supérieure, 1 sur le menton, 1 à l’extrémité du nez, 1 sur la mâchoire gauche, 2 sur l’épaule droite, 1 sur l’avant bras, 1 sous l’aisselle gauche, 1 sur le bras intérieur, 1 sur le majeur, plusieurs en grappe sous le cou, 1 à la naissance du sein gauche, 1 centré proche de la poitrine, 1 entre les seins… Soudainement elle se lève.

    Le temps est à se quitter, pourtant ses lèvres continuent à remuer, à s’agiter tout en se rapprochant de mon visage. Des lèvres fines au dessin minutieux luisent d’un brillant peint au pinceau. Le désirable arrondi de sa lèvre inférieure se tend dangereusement vers moi pour m’embrasser, véritable invitation à y déposer mon empreinte. Je me reprends au dernier moment et la bise sur la joue. Elle me lance un dernier sourire, avenant, rayonnant, transcendant.

    Ca y est, c’est fini, elle est partie. Je reste là, assis à la table, abasourdi. Un indescriptible parfum de bonheur embaume la salle. Cette fille est féerique. Je ne sais qui elle est, je n’ai pas écouté le moindre de ses mots. A bientôt M. Raspankov, m’a-t-elle glissé. Oui, à bientôt mademoiselle… Mademoiselle… ? Mon pied bute sur quelque chose. Je regarde sous la table et saisis un bracelet en lanières de cuir tressées orné de quelques perles violettes transparentes. Sur la petite plaque son prénom est gravé. A très bientôt Mademoiselle Vassilia. J’enfouis mon trophée dans la poche de mon pantalon.

    *

    J’observe l’écuelle qui gît au milieu de la pièce. Il s’en échappe un fumet peu ragoûtant. Allait-on toujours me servir cette infâme pâtée ? Je les soupçonne d’y adjoindre, à mon insu, quelques médicaments anesthésiants. Je souris béatement, ils ne peuvent rien contre moi, je suis déjà loin, oh oui, bien trop loin… Soudainement une idée me traverse l’esprit à la vitesse d’une comète. Frénétiquement je fouille dans la poche de mon pantalon. J’en extrais une gourmette. Je lis avidement le prénom inscrit.

    De dépit, je shoote violemment dans la gamelle. Puis me laisse choir lentement sur les fesses contre le mur. La gamelle a explosé contre le mur. De longs filets de nourriture gluante dégoulinent le long du mur. Je pense à ce moment là que ma cervelle doit être à peu près dans le même état. Ma main se crispe sur la gourmette de Vass comme dans un dernier soupir.

    *

    Je reçois peu de visites, probablement la conséquence de mon acte sur l’infirmière, elles sont essentiellement hygiéniques. Sous bonne escorte, je suis accompagné pour me faire toiletter. Nous parcourons alors de longs et larges couloirs qui s’entrecoupent avec d’autres longs et larges couloirs ; nous prenons un ascenseur qui monte, puis un autre qui descend ; nous franchissons plusieurs halls d’affilé, puis nous gravissons les quelques marches en colimaçon d’un escalier. Je n’ai aucune notion du temps que prend ce trajet, ni de la distance parcourue et, bien que l’empruntant très souvent, je suis bien incapable de me repérer, tant le réseau de couloirs est complexe et revêt souvent des allures de labyrinthe.

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART I)

    La porte s’entrouvre. Elle apparaît dans un éclat de lumière. Sa silhouette se découpe troublante dans le contre-jour de l’embrasure. Elle s’immobilise, scrute le fond de la salle du café, fixe son regard, hésite, puis lance un grand sourire. D’une démarche déterminée, elle se pointe. Je la distingue mieux désormais, débardeur beige, jean bleu seyant. Un fin téléphone rose dépasse de sa poche. Elle ne se départit pas d’un sourire qui s’intensifie à mesure qu’elle s’approche. La voila, là face à moi.

    - Monsieur Raspankov ?

    Je ne suis pas M. Raspankov, je ne connais pas cette personne. Naturellement ma réponse devrait être : « Non mademoiselle, vous faites erreur, je ne suis pas monsieur Raspankov » mais étrangement, sans raison apparente, je m’entends opiner.

    Elle se penche pour me tendre la main. Un cœur en métal argenté, suspendu à une longue chaîne, plonge dans une gorge généreuse. Je me lève pour la lui serrer. De longs doigts enserrent fermement ma main. Une chaleur diffuse se dégage, une agréable sensation titille mes sens. Sa peau est extraordinairement douce. Je retire prestement ma main. Elle me dit bonjour d’une voix pleine d’aplomb. Je lui présente une chaise et l’invite à prendre place. Elle ne porte pas de soutien-gorge. Nous nous asseyons.

    Elle entame la conversation mais rapidement mon attention s’égare, plus encline à se porter sur sa physionomie avenante que sur son discours. Un serre-tête en plastique noir retient une abondante chevelure noire. De longues mèches lisses suivent sagement l’ovale de son visage et bouclent sur ses épaules dénudées.

    Ses grands yeux marron reflètent toutes les merveilles de l’Orient. D’épais sourcils noirs au dessin précis affermissent l’expressivité de son regard où percent malice et gouaillerie. De minuscules taches de rousseur maculent le bout de son nez droit ainsi que ses pommettes. Une impression de félicité irradie son visage.

    Je l’observe. S’en rend-t-elle compte ? Son débit de paroles s’accélère et parfois ses mots s’entrechoquent, son visage s’anime, ses yeux brûlent d’une multitude de paillettes étincelantes et ses boucles d’oreilles, en forme de gouttes d’eau métalliques, chahutent le long de son cou. Machinalement, ses doigts jouent avec les branches d’une paire de lunettes de soleil noire. Son effronterie juvénile, sa crânerie insouciante me conquièrent,  son joli sourire spontané, franc qui ponctue ses exclamations m’emmène là où nul ne peut me retrouver.

    Le serveur s’approche d’elle pour s’enquérir de sa commande. Il tourne autour d’elle, la plaisante. Deux-trois mots qui la retournent. Elle éclate de rire. Elle place sa main devant la bouche comme pour l’étouffer. Elle porte les ongles longs et manucurés de vernis blanc tendance french tip. Trois veines se dessinent sur le front et convergent vers la naissance du nez.

    Le garçon de café rajoute deux autres mots. Elle rit, beaucoup, trop ? Je remarque le caractère familier des mots échangés, se sont-ils déjà croisés ? Soudainement elle lui tire la langue. Une langue pointue qui me fait frémir. J’ai toujours préféré les pointues aux arrondies. J’ai ma réponse, ils se connaissent très bien. Elle me le confirme, en s’excusant auprès de moi. C’est le frère d’une amie. Mais déjà je ne l’entends plus, à nouveau parti dans ma rêvasserie…

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.