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Dernière ligne droite

Une dernière ligne droite ensoleillée, bordée de champs qui fument au petit matin. Dressé en son milieu, l’arrêt de bus n’a guère de succès, juste une fidèle que chaque matin je croise. Les brumes matinales tendent à s’estomper. La belle inconnue est exacte à son rendez-vous. Comme chaque matin, elle attend stoïque son bus.

Fallait pas. Il ne fallait pas monter dans cette voiture...Elle a stoppé à sa hauteur. La vitre s’est abaissée. Un homme lui a dit : - Tous les matins je passe et je vous vois plantée là. Vous allez sur Chaimbourg ? Montez !

Un large sourire illumine le visage de la fille. La portière se déverrouille, elle l’entrouvre, penche son frêle corps pour pénétrer dans l’habitacle, une main saisit la poignée et la rabat dans le claquement étouffé des modèles haut de gamme. La voiture redémarre en souplesse.
L’homme arbore un sourire satisfait. Il est vêtu élégamment d’un costume cravate chemise. Il semble détendu, son calme rassure. A travers le pare-brise, on les voit échanger quelques mots, les visages se tournent l’un vers l’autre, les regards se rencontrent de temps à autres. La fille est radieuse, ses yeux pétillent de malice, sa bouche esquisse de larges sourires.

La voiture me croise, je la suis du regard et je me retourne pour la voir disparaître à l’horizon. Un sentiment de désespoir m’envahit, un vide sans fond s’installe. Je me dis que je ne reverrai jamais le cuivre de sa peau, le vert limpide de ses yeux, la longue chevelure noire ondulant sur ses délicates épaules, tant de reflets qui savaient m'émouvoir.
Je me retrouve seul sur la route. Le poétique décor champêtre perd subitement de son charme désuet. Cette route redevient ce qu’elle n’a jamais cessé d’être : longue, dénudée et ennuyeuse. La fraîcheur matinale passe à travers les rayons encore juvéniles du soleil et me ronge les os.

Il ne fallait pas monter dans cette voiture, jeune fille ! Un instant de Paradis pour une éternité d'Enfer. Plus jamais tu ne pourras voir un homme comme tu l’envisageais auparavant. Saloperie de mecs qui pillent les filles, souillent leurs corps et laissent leurs dépouilles sur le bas-côté des routes. Elles perdent tout, honneur, dignité, identité et, quand ce n’est pas leur vie, elles sont condamnées à vivre avec cette infamie. Saloperie de société qui laisse faire, qui favorise l’irrespect des sexes.

L’homme vient de se payer une fille. Il a sillonné tout le secteur au volant de sa quelconque voiture jusqu'à la repérer. Patiemment il a attendu son heure. C’est le jour! Il se rase devant la glace. Il est serein, la veille il a volé une belle voiture. Il a délaissé le rasoir électrique au profit d'un modèle mécanique et vérifié que ses mains ne tremblent pas. Pas de coupures, pas de soucis, il est parfaitement calme et maître de lui. Il sourit au miroir, elle sera fidèle au rendez-vous. Ce matin, il sait qu’il va s'offrir cette fille innocente qui ne lui résistera pas...

 

Jack Monster, © 2007, tous droits réservés.

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