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Station-service (PART I)

  J’éteins les phares, coupe la radio et arrête le moteur. J’ai conduit toute la nuit. Je regarde mon visage dans le rétroviseur central. « Hum ! Je ne suis vraiment pas frais ! » La barbe commence à recouvrir mon faciès. Mes yeux sont explosés. Bien qu’il me reste encore plus d’une demi-journée de route, la raison impose l’arrêt. Je m’extirpe de l’habitacle, claque la portière. Il est tôt. Le jour n’est pas encore levé. Un petit vent vif me glace les os.

  Je contourne la voiture et me présente devant le distributeur de carburant. Je respecte scrupuleusement les instructions édictées par l’automate ; j’introduis la carte bancaire dans la fente ; du pouce, je l’enfonce délicatement à fond puis compose  son code secret ; je sélectionne le carburant, récupère la carte et ouvre la trappe du réservoir ; je tourne la clé dans la serrure du bouchon et le dépose sur l’automate ; je m’empare du pistolet, tire le long tuyau et enchâsse minutieusement le bec dans l’embout circulaire du réservoir. « Voilà, tout est en ordre, je n’ai rien oublié ? » Mon esprit est encore embrumé. Le pistolet bien en main, je presse la gâchette ; une forte odeur de gazole emplit mes narines. Ce n’est pas l’idéal au petit matin. Je suis pris de nausées tandis qu’implacablement galopent en rythmes distincts les compteurs de l’automate ronronnant …

  Quelques phares de voitures s’étirent sur le long ruban de l’autoroute. Le parking de la station service est vide ; l’interminable flot du retour de vacances n’a pas encore débuté. La grande porte vitrée de l’entrée de la station service s’ouvre automatiquement à mon passage ; un rideau de chaleur s’abat sur moi. Un désert m’accueille. D’un regard circulaire, je repère les toilettes sur ma droite.

  Je pousse la porte frappée de l’écriteau : « messieurs ». La pièce est plongée dans une demi-pénombre. Un homme se rase à un lavabo ; il est torse nu ; il pue le fauve. Malgré son impassibilité apparente, je sais que dans la glace il suit mon déplacement vers les pissoirs. Je me montre devant la vespasienne. Une forte odeur d’urine s’en échappe. Elles n’ont certainement pas été nettoyées de la nuit. Je courbe la tête, descends la fermeture du pantalon, sors l’organe, le décalotte, pisse abondamment, l’égoutte, le rentre et referme la braguette.  Trois minutes se sont écoulées où j’ai perçu toute l’intensité de son regard me violer. Je me retourne ; il a disparu. Le pourtour du lavabo est d’une propreté douteuse. Le distributeur de savon liquide est bouché, du robinet coule une eau froide et le tissu de l’essuie-main pend hors de son dévidoir. Je quitte le lieu.

  Le comptoir de la cafétéria est face à moi. Je me dirige d’un pas nonchalant dans sa direction. A cette heure, le bar n’est pas encore saturé de clientèle. Un silence inhabituel règne dans l’enceinte. Une jeune femme blonde s’emploie à essuyer de la vaisselle. Je m’installe sur un tabouret haut. Elle me remarque et me sourit. Je pense que cela vient de mon air, passablement endormi. Je donne l’impression d’être inoffensif. Je lui renvoie son sourire, peut-être un peu plus figé que le sien. Les mâchoires me font mal. Elles ne se sont pas desserrées de tout le trajet.

« Vous désirez monsieur ? » me questionne-t-elle.

J’aime l’intonation de sa voix. Son sourire ne l’a pas quittée.

   « Un café, s’il vous plait, mademoiselle. » Je lui réponds d'une voix que j’ai dû mal à reconnaître.

Elle me dévisage amicalement.

« Tout de suite, monsieur ! » s’exclame-t-elle d’un ton

amusé.

 (A suivre...)

Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

Commentaires

  • salut.
    Bon début au plaisir de lire la suite.
    Je ne peux que remarquer que si on donne des détails on doit bien s en rappeler, particulièrement si c est un récit d intrigues ou policier et là l'ordre des choses est je pense importants, je préfère sentir l'odeur du gasoil dès qu'on sort de l'habitacle et qu'au moment ou je presse la gâchette y a le son de l'écoulement qui l'accentue (avoir la nausée)
    Et si on a l'esprit un peu embrumé on peut se permettre de caler le moteur car on l éteint au moment de débrayer et que souvent on oublie d éteindre les feux, je dis ça pour enrichir et aussi préparer le lecteur à un décor pour pouvoir le secouer plus tard, c'est ce que je préfère tout simplement au lieu de qualifier un état d esprit j'opte pour décrire des erreurs de comportement, tel que trébucher, entre dans les toilettes pour femme(j'ai failli pousser la porte frappée de l écriteau dames, ce fut l'avatar en jupe qui me fit sursauter bien qu a cette heure ci les dames……) oublier sa voiture garée tout près du distributeur …etc. ça permettra d enrichir le texte et aussi d emmener le lecteur a vivre le moment, Très important car c est bien le moment d embarquer non pas seul mais accompagné. Je trouve que l imagination ne manque pas, peut être faudrait-il donner du fil a retordre des le début aussi…
    Je note que c est très beau de faire déplacer le lecteur rien qu en lui décrivant ce balayent les yeux, je pense aussi que vous avez déjà esquissé la forme globale.
    Ce ne que ce que je ressens et c est un avis purement personnel
    Alors bonne chance.

    Juba

  • J'aime bien au contraire d'un commentaire sur myspace, la description lente et précise de chacuns des gestes, cela donne vraiment l'ambiance d'un long et pénible voyage au volant. Moi qui fait souvent 1000 km pour aller sur Paris, je ressens particulièrement bien cette atmosphère. Pendant la pause, avant que la concentration de la conduite ne se relache, ce genre d'effet un peu stromboscopique.
    A suivre.

  • Moi je n'aime pas critiquer la forme, la forme appartient à celui qui écrit et tu écris bien.
    Juste la remarque un oubli le passé simple à la fin alors que c'est un texte au présent de narration ? pense à corriger MJ.
    et j'aime beaucoup l'ambiance, merci de nous emmener nous promener.

  • Ce début me fait un peu penser à un livre que je lis en ce moment, à savoir "l'homme qui voulait vivre sa vie" de Douglas Kennedy. Un passage se passe sur la route, que le personnage principal sillonne en tout sens, pour échapper à son passé mort et qu'il doit oublier. On retrouve toute cette espèce de détresse, de solitude dans ce texte. Qui est cet homme? Où va t-il? Dans quel but? Ce premier chapitre nous laisse dans l'expectative tout en excitant nos sens. A suivre donc...

  • Belle introduction. Je me suis interrogé sur le rythme lent et la situation de tous les jours dès le début. Amusé par le cliché sordide de l'homme dans les toilettes. Je me suis alors arrêté sur la justesse et la constance de la narration. Arrivé à l'immersion du personnage dans la réalité (fin de la légère paranoïa d'un homme fatigué?), le court dialogue avec la serveuse rebondit dans la narration et donne tout simplement envie de lire la suite!

  • vraiment très bien. on a envie de connaitre la suite, serieusement ;)
    ça me fait un peu penser à robert antelme ( lespèce humaine) pour le style d'écriture... je dis pas que ça ressemble mais moi ça m'y fait penser, c'est tout.
    enfin, j'aime beaucoup.
    je vais lire la suite :D

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