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Nouvelle - Page 3

  • La rencontre (PART IV)

    Un cri aigu, certainement féminin, déchire l’étoffe opaque des lieux. Je me retourne, mon regard cherche à déterminer sa provenance. Rien, rien ne se distingue dans cette obscurité. Seule filtre une respiration haletante qui se répercute en écho sur les parois et témoigne de la peur qui s’insinue. Je m’avance prudemment, mon pied roule sur quelque chose de cylindrique, difficilement définissable, un genre de tuyau, tout à la fois flasque au contact et ferme en profondeur. Je le sens se tortiller sous ma semelle, ram… ramper. C’est une matière vivante ! Tel un warning, l’image d’un serpent clignote dans mon esprit et, à mon tour, je pousse un cri d’effroi en dégageant mon pied. Mon corps frémit, quelques gouttes froides de sueur perlent sur mon front et dégoulinent le long de mon visage. Je n’ose m’avancer davantage.

    Tout près, face à moi, le souffle par à-coups brefs s’amplifie. Enfermé dans cette pièce avec moi, je n’ai pas réussi à définir l’Autre, à le conceptualiser, à l’imaginer. Est-ce une personne, patiente ou infirmière et dans quel camp se situe-t-elle, amie ou ennemie ? Ou est-ce plutôt un animal, amical ou agressif, dominateur ou dominé ? A moins qu’il ne s’agisse d’une créature tout droit sortie de nulle part, divine ou maline, rêve ou cauchemar ?

    Je me perds dans ces considérations, mes sens flageolent, la panique tétanise mon corps. La peur s’empare de moi, monte progressivement comme le niveau de l’eau dans les cales d’un navire qui s’échoue, de mon sexe roide vers la raison amollie, la peur de l’inconnue, la peur mutuelle de l’autre. Nous nous épions dans le noir, à l’écoute du moindre bruit trahissant le geste, la tentative qui va faire basculer définitivement la situation dans un sens ou dans l’autre.

    Mes doigts tâtent lentement le mur à la recherche de l’interrupteur. Il y a d’abord le déclic du levier qui résonne définitivement dans le silence soudain de la pièce, puis la lumière et les yeux qui clignent et enfin la réponse visuelle. Le soulagement d’un côté, la reddition de l’autre.

    Dans le coin, recroquevillée sur elle-même, dans une forme d’abandon total, la tête baissée, le visage enfoui dans les genoux, les bras recouvrant, telle une carapace, les jambes rabattues contre la poitrine, elle se livre vaincue. Je reconnais immédiatement le duvet brun des avant-bras, l’effluve musqué de son épiderme effrayé, la chaînette qui ceint son poignet. Vass ! Machinalement, mes doigts entrechoquent les perles d’un bracelet en lanières cuir tressées qui gît inexplicablement dans le fond de la poche de mon pantalon.

    Je m’approche, elle relève lentement la tête. De longues mèches lisses noires s’ouvrent telle un rideau de théâtre et laissent apparaître son visage. De grands yeux bruns embués interrogent, des traces humides serpentent entre les grains de beauté qui maculent son minois. Ressemblance troublante qui mène à la confusion des sens.

    - Ne me faites pas de mal !

    - Pourquoi vous ferais-je du mal ?

    - Vous êtes une personne dangereuse, je le sais. Une personne incontrôlable.

    - Alors pourquoi m’avez-vous délivré ?

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART III)

    Un bruit métallique me fait sursauter. Là, au beau milieu de la pièce, une clé rebondit sur le sol à la manière d’un galet lancé sur la surface de la mer. Sans réfléchir, d’un bond je m’en empare et déjà je crochète la serrure qui finit par céder. Je tire énergiquement la porte. Des bruits de pas précipités résonnent dans le couloir. A peine ai-je le temps d’apercevoir la personne qui détale à grandes enjambées. Elle vient de tourner à l’angle du couloir. Instinctivement, je me mets à la courser. Je ne saisis pas la situation, mais j’ai la conviction que je dois la rattraper. Je ne suis pas dans mon état normal : un mélange d’excitation et de peur me serrent le cœur.

    Je cours à fond sans me soucier de la direction à prendre. Les couloirs sont longs et rectilignes. Ils sont entrecoupés à angle droit d’autres couloirs, véritable quadrillage d’une feuille de cahier d’écolier. Les portes des chambres défilent à cent à l’heure. J’entends de temps à autres des grognements ou de légères plaintes. A chaque intersection, je marque une hésitation qui me fait perdre un temps précieux et du terrain. Bientôt, je serai complètement distancé. Elle court vite, trop vite pour moi. Je m’affaiblis, je ne respire plus, je m’asphyxie. Je me perds.

    Il m’a semblé apercevoir son ombre au tournant à gauche. Le couloir est désespérément désert. Je m’arrête pour souffler et tends une oreille captive du moindre indice sonore : pas un bruit de pas, un silence oppressant, tout juste troublé par le grésillement stressant d’un néon défectueux diffusant une lumière blanchâtre stroboscopique.

    Je m’égare dans une infinitude de couloirs, à la dérive. Ils sont particulièrement laids. Le sol est peint en gris et les murs d’un dégradé de couleurs toutes plus moches les unes que les autres. Les teintes semblent varier par bloc. Elles vont du vert tisane au mauve ecclésiastique, en passant par toutes les nuances bleuâtres et rougeâtres. Je n’en connais pas la signification. Je viens du secteur vert et je suis maintenant dans le secteur rouge…

    Des voix, des pas, oui ce sont bien des voix et des pas. Figé en plein milieu d’un couloir démesurément long, je dois fuir. Ils ne vont pas tarder à apparaître au coin. Les pas se rapprochent. Pas le temps de courir jusqu’à l’autre extrémité. Je suis coincé. Je presse la poignée de la première porte qui se présente à moi. Pas de résistance, la porte s’entrouvre sur une pièce plongée dans la pénombre. Le contour du mobilier se distingue à peine. Pas le choix, j’entre et referme la porte derrière moi.

    Les voix se font plus audibles. Elles parlent d’une chambre, 212, je crois, qui a été découverte ouverte. Le patient s’est échappé. Il erre dans la clinique. Il faut le retrouver au plus vite car il n’a pas d’existence légale. Je retiens mon souffle, les voix passent, le silence reprend ses droits. Je décolle mon oreille de la porte et recule légèrement. Un cri surgit derrière mon dos.

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART II)

    Le temps se distend indéfiniment en sa compagnie. Nulle unité de mesure ne semble encore faire foi. Un à un je détaille les nombreux grains de beauté qui l’embellissent et entreprends de les recenser : 1 sur la joue droite, 1 sur la narine, 1 au-dessus de la lèvre supérieure, 1 sur le menton, 1 à l’extrémité du nez, 1 sur la mâchoire gauche, 2 sur l’épaule droite, 1 sur l’avant bras, 1 sous l’aisselle gauche, 1 sur le bras intérieur, 1 sur le majeur, plusieurs en grappe sous le cou, 1 à la naissance du sein gauche, 1 centré proche de la poitrine, 1 entre les seins… Soudainement elle se lève.

    Le temps est à se quitter, pourtant ses lèvres continuent à remuer, à s’agiter tout en se rapprochant de mon visage. Des lèvres fines au dessin minutieux luisent d’un brillant peint au pinceau. Le désirable arrondi de sa lèvre inférieure se tend dangereusement vers moi pour m’embrasser, véritable invitation à y déposer mon empreinte. Je me reprends au dernier moment et la bise sur la joue. Elle me lance un dernier sourire, avenant, rayonnant, transcendant.

    Ca y est, c’est fini, elle est partie. Je reste là, assis à la table, abasourdi. Un indescriptible parfum de bonheur embaume la salle. Cette fille est féerique. Je ne sais qui elle est, je n’ai pas écouté le moindre de ses mots. A bientôt M. Raspankov, m’a-t-elle glissé. Oui, à bientôt mademoiselle… Mademoiselle… ? Mon pied bute sur quelque chose. Je regarde sous la table et saisis un bracelet en lanières de cuir tressées orné de quelques perles violettes transparentes. Sur la petite plaque son prénom est gravé. A très bientôt Mademoiselle Vassilia. J’enfouis mon trophée dans la poche de mon pantalon.

    *

    J’observe l’écuelle qui gît au milieu de la pièce. Il s’en échappe un fumet peu ragoûtant. Allait-on toujours me servir cette infâme pâtée ? Je les soupçonne d’y adjoindre, à mon insu, quelques médicaments anesthésiants. Je souris béatement, ils ne peuvent rien contre moi, je suis déjà loin, oh oui, bien trop loin… Soudainement une idée me traverse l’esprit à la vitesse d’une comète. Frénétiquement je fouille dans la poche de mon pantalon. J’en extrais une gourmette. Je lis avidement le prénom inscrit.

    De dépit, je shoote violemment dans la gamelle. Puis me laisse choir lentement sur les fesses contre le mur. La gamelle a explosé contre le mur. De longs filets de nourriture gluante dégoulinent le long du mur. Je pense à ce moment là que ma cervelle doit être à peu près dans le même état. Ma main se crispe sur la gourmette de Vass comme dans un dernier soupir.

    *

    Je reçois peu de visites, probablement la conséquence de mon acte sur l’infirmière, elles sont essentiellement hygiéniques. Sous bonne escorte, je suis accompagné pour me faire toiletter. Nous parcourons alors de longs et larges couloirs qui s’entrecoupent avec d’autres longs et larges couloirs ; nous prenons un ascenseur qui monte, puis un autre qui descend ; nous franchissons plusieurs halls d’affilé, puis nous gravissons les quelques marches en colimaçon d’un escalier. Je n’ai aucune notion du temps que prend ce trajet, ni de la distance parcourue et, bien que l’empruntant très souvent, je suis bien incapable de me repérer, tant le réseau de couloirs est complexe et revêt souvent des allures de labyrinthe.

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • La rencontre (PART I)

    La porte s’entrouvre. Elle apparaît dans un éclat de lumière. Sa silhouette se découpe troublante dans le contre-jour de l’embrasure. Elle s’immobilise, scrute le fond de la salle du café, fixe son regard, hésite, puis lance un grand sourire. D’une démarche déterminée, elle se pointe. Je la distingue mieux désormais, débardeur beige, jean bleu seyant. Un fin téléphone rose dépasse de sa poche. Elle ne se départit pas d’un sourire qui s’intensifie à mesure qu’elle s’approche. La voila, là face à moi.

    - Monsieur Raspankov ?

    Je ne suis pas M. Raspankov, je ne connais pas cette personne. Naturellement ma réponse devrait être : « Non mademoiselle, vous faites erreur, je ne suis pas monsieur Raspankov » mais étrangement, sans raison apparente, je m’entends opiner.

    Elle se penche pour me tendre la main. Un cœur en métal argenté, suspendu à une longue chaîne, plonge dans une gorge généreuse. Je me lève pour la lui serrer. De longs doigts enserrent fermement ma main. Une chaleur diffuse se dégage, une agréable sensation titille mes sens. Sa peau est extraordinairement douce. Je retire prestement ma main. Elle me dit bonjour d’une voix pleine d’aplomb. Je lui présente une chaise et l’invite à prendre place. Elle ne porte pas de soutien-gorge. Nous nous asseyons.

    Elle entame la conversation mais rapidement mon attention s’égare, plus encline à se porter sur sa physionomie avenante que sur son discours. Un serre-tête en plastique noir retient une abondante chevelure noire. De longues mèches lisses suivent sagement l’ovale de son visage et bouclent sur ses épaules dénudées.

    Ses grands yeux marron reflètent toutes les merveilles de l’Orient. D’épais sourcils noirs au dessin précis affermissent l’expressivité de son regard où percent malice et gouaillerie. De minuscules taches de rousseur maculent le bout de son nez droit ainsi que ses pommettes. Une impression de félicité irradie son visage.

    Je l’observe. S’en rend-t-elle compte ? Son débit de paroles s’accélère et parfois ses mots s’entrechoquent, son visage s’anime, ses yeux brûlent d’une multitude de paillettes étincelantes et ses boucles d’oreilles, en forme de gouttes d’eau métalliques, chahutent le long de son cou. Machinalement, ses doigts jouent avec les branches d’une paire de lunettes de soleil noire. Son effronterie juvénile, sa crânerie insouciante me conquièrent,  son joli sourire spontané, franc qui ponctue ses exclamations m’emmène là où nul ne peut me retrouver.

    Le serveur s’approche d’elle pour s’enquérir de sa commande. Il tourne autour d’elle, la plaisante. Deux-trois mots qui la retournent. Elle éclate de rire. Elle place sa main devant la bouche comme pour l’étouffer. Elle porte les ongles longs et manucurés de vernis blanc tendance french tip. Trois veines se dessinent sur le front et convergent vers la naissance du nez.

    Le garçon de café rajoute deux autres mots. Elle rit, beaucoup, trop ? Je remarque le caractère familier des mots échangés, se sont-ils déjà croisés ? Soudainement elle lui tire la langue. Une langue pointue qui me fait frémir. J’ai toujours préféré les pointues aux arrondies. J’ai ma réponse, ils se connaissent très bien. Elle me le confirme, en s’excusant auprès de moi. C’est le frère d’une amie. Mais déjà je ne l’entends plus, à nouveau parti dans ma rêvasserie…

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

     

  • Au chat et à la souris (PART IV et fin de l'épisode)

      Ce matin, ses pas ne résonnent pas de la même façon, ils sont plus saccadés. Ce ne sont pas ceux coutumiers de mon infirmière. Elle doit être beaucoup plus jeune. Elle manque probablement d’expérience, peut-être est-ce sa première mission. Je dois m’imposer d’emblée, me faire respecter, édicter ma loi. Il faut qu’elle sache qu’on ne peut l’enfreindre délibérément, qu’elle comprenne qu’on n’entre pas impunément dans mon antre.

      Trop insouciante, ne l’a-t-on prévenue ? Un instant, je reste interloqué à la vision de ce bras qui, interminablement, affleure le sol, tergiverse, hésite à lancer l’écuelle. Une victoire aussi facile ne peut me satisfaire. Puis, gagné par une émotion naissante, je succombe, sourd à de vaines résistances, au charme de cette peau mate piquée de quelques pépites de beauté, à la délicatesse de ces longs doigts déliés de violoniste, à la ciselure féminine de ses biceps.

      Je m’agenouille et saisis son poignet ténu. Instantanément un tressaillement accompagné d’un petit cri de stupeur parcourt son bras. Elle ne se débat pas, ne cherche pas à desserrer l’étreinte. Son bras se fige, se rigidifie, son pouls s’accélère, semble cahoter à mesure que la peur l’assaille. Mes lèvres s’égarent émues sur le duvet brun de l’avant-bras, épanchent leur trouble au contact de sa douce peau ; mon nez hume l’effluve musqué de son épiderme.

      Machinalement mon pouce joue avec le métal d’un bracelet. Je relâche le poignet. Immédiatement le bras disparaît laissant une gourmette chue au sol. Je l’apostrophe, mais le bras ne réapparaît. Déjà je l’entends détaler dans le couloir. Je ramasse la chaînette, découvre son prénom gravé : « Vass ».  J’hésite, je ne sais qu’en faire, finalement je la glisse dans la poche de mon pantalon.

      Je pressens l’ombre d’une menace roder. D’un clic je place la gourmette dans mon panier d’objets. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’intuition qu’elle pourra resservir. L’orage tonne de plus belle, de grosses gouttes de pluie s’abattent sur les vitres. Une déflagration tombe à quelques mètres de là, la lumière vacille, l’écran s’obscurcit soudainement, puis la pénombre s’installe autour de moi.

    *

      FIN PROVISOIRE D’AUTOROUTE DANS 5 KM. Le panneau luisant dans le faisceau lumineux de mes phares surgit brusquement. Bon Dieu ! Ce n’est pas ce qu’indique le GPS. La pluie redouble d’intensité. J’aimerais bien m’arrêter à une station-service ; je suis au bout du rouleau. A l’horizon, je crois discerner une enseigne lumineuse du haut d’un pylône.

    (Fin de l'épisode...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • Au chat et à la souris (PART III)

      Je ne reçois plus guère de soins.  Je suis classé comme patient extrêmement dangereux. Une fois par jour la trappe située en bas de la porte de ma cellule s’entrouvre. Brièvement un bras point et fait glisser sur le sol une écuelle de nourriture jusqu’au milieu de la pièce. Je le reconnais, c’est souvent le même, velu, dodu, bestial mais malgré tout féminin.

      J’entends ses pas résonner dans le couloir, se rapprocher de la porte. Sciemment elle alourdit sa démarche, en accentue le bruit, pour me signaler qu’elle arrive, pour me prévenir de me tenir prêt, qu’il serait dommage que je sois assoupi, afin que le jeu puisse se dérouler dans les règles de l’art, à égalité de chances car c’est un moment de la journée très attendu.

      Je me poste près de la porte et guette l’apparition de son bras. De l’autre côté,  elle se méfie. C’est à qui sera le plus vif ! Elle a le privilège d’engager la partie. J’entends sa respiration forcir, puis se bloquer au moment crucial où elle s’apprête à jeter son bras dans l’arène. J’affectionne ce moment bref qui précède l’agissement où chacun, de part et d’autre de la paroi, retient son souffle, épie le moindre bruit indicateur. J’aime entendre le tambourinement du cœur s’emballer dans la poitrine, la gorge se resserrer, l’adrénaline s’emparer du corps. A peine le bras jaillit-il que mon pied tente d’écraser sa main.

      La partie se déroule toujours en deux phases. La seconde, la revanche, quand elle fait rouler la bouteille d’eau, est plus tactique ; deux choix s’offrent à elle : renvoyer immédiatement la bouteille et profiter d’un effet de surprise ou observer un temps d’attente plus ou moins long et se retrouver dans la situation précédente, lors du premier jet. C’est une question de stratégie dont elle a la maîtrise ou la main.

      Je gagne rarement face à cette joueuse aguerrie. Je suis persuadé qu’ils m’envoient la championne du monde de la clinique, la plus expérimentée, la plus habile. Elle a l’avantage de s’entraîner beaucoup plus que moi avec le grand nombre de patients à servir.

      En de rares moments d’égarements, je parviens à tromper sa vigilance. Je remporte la partie et nous sommes deux à hurler d’un même cri : elle de douleur et moi de joie. Mon talon, telle une masse tombe lourdement sur sa main et la tue sur le coup comme on écrase une araignée se défilant sur le sol, puis j’aplatis consciencieusement ses doigts en m’essuyant méticuleusement les pieds. En général dans ces cas là, le jeu s’interrompt et quelques minutes plus tard j’ai droit à l'intervention de la brigade piqûre.

      Ce matin, ses pas ne résonnent pas de la même façon…

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

  • Au chat et à la souris (PART II)

    Sa tête couverte d’une ridicule coiffe se penche sur moi et, soudainement, une terrifiante poitrine, comprimée dans l’échancrure d’une blouse trop étroite, obscurcit mon champ de vision.

     

      Sous la pression, le bouton cède et déverse un flot de chair difforme qui se balance et s’entrechoque dangereusement au-dessus de mes yeux. Le ballottement perd de l’ampleur et finit par se figer dans un précaire équilibre. Je regarde avec inquiétude les deux énormes seins en forme d’obus suspendre leur survol de reconnaissance et s’avachir brutalement contre mon visage, à gorge déployée.

      De rage, je la mords à mort. Sauvagement, mes dents carnassières saisissent leur proie, s’acharnent sur elle, ne la lâchent pas. Elles s’enfoncent profondément dans la matière flasque, la lacèrent, l’arrachent par lambeaux, déchiquettent la chair sanguinolente, recrachent un bout de téton caoutchouteux et peu comestible. L’infirmière beugle, comme jamais un humain n’a encore hurlé.

        Je me complais dans la plus complète inactivité et la plus grande solitude. Mes journées s’étirent interminablement dans ce huis clos avec moi-même. Je n’ai rien à faire, je n’ai rien à penser, juste à entretenir mon corps pour qu’il ne défaille, à occuper mon esprit pour qu’il ne déraille. La pièce doit mesurer tout au plus dix mètres carrés ; pas facile de se dépenser physiquement et de s’évader intellectuellement dans ces conditions.

      Pour conserver la forme, je cours dans la pièce, je longe les murs, à petites foulées ou sautillements, des heures entières. Cette activité m’aide à survivre, à sentir mon cœur battre, mon souffle souffrir. J’alterne les courses, dans le sens des aiguilles d’une montre ou l’inverse. Je fais des étirements, des pompes, des assouplissements, parfois même des figures acrobatiques. C’est le seul moyen que j’ai pour entretenir mon corps.

      Quand à mon esprit, il est bien incapable de penser quoi que ce soit. Trop d’interrogations demeurent. Je ne connais  toujours pas la raison de mon placement. La rumeur affirme que j’ai butté une fille. Butté ? Oui, une belle gosse ! Une belle gosse ? Oui, une serveuse de cafétéria.*

      Au plus profond de mes souvenirs, je ne parviens pas à visualiser la scène. Les images qui défilent dans ma mémoire restent désespérément opaques, seule subsiste la bande son. Cela commence toujours par la cacophonie d’une foule agitée, puis une voix cristalline s’élève et prononce une phrase en forme de sentence qui indéfiniment se répète par vagues dans mon esprit : « Butte-la, la belle gosse ! ». L’excitation est à son comble quand brutalement des coups de sifflets stridents surgissent de toute part et se réverbèrent douloureusement dans ma tête.

      Je ne revois pas la fille, son visage, ses lèvres, pourtant je ressens encore son souffle chaud qui me brûle la poitrine. J’entends ses aspirations plaintives. Cela provoque en moi une érection immédiate. Oui, il a dû se passer quelque chose de grave.  Ai-je été jugé pour cet écart ou interné d’office ? Je ne me souviens de rien, et cela m’inquiète.

     

     

    * voir l’épisode précédent « Station-service ».

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés. 

     

  • Au chat et à la souris (PART I)

      Bienvenue à la Clinique Psychiatrique Château du Grand Air annonce la pancarte défraichie à l’entrée du parc. Il y a quelques temps encore, fleuron en matière de soins des troubles psychiatriques aigus et subaigus, elle arborait fièrement ses façades de briquettes roses percées de grandes fenêtres ornées de pierre de taille blanche dans le plus pur style Renaissance. Autre temps, autres mœurs. Jouxtant une autoroute récemment tracée, à l’écart de toutes habitations alentours hormis une station-service incongrument construite sur une parcelle de son parc, nul ne saurait affirmer si cet établissement était toujours en activité.

      Une vilaine risée balaie le parc laissé à l’abandon. Par rafales rageuses, le vent chargé de matières mortes fouette les vitres de la monumentale porte d’entrée qui finit par céder à un ultime coup de boutoir. Une horde indisciplinée de feuilles brunâtres s’engouffre dans le grand hall, en investit chaque coin et recoin, gravit en tourbillons désordonnés les marches du majestueux escalier de pierre, au rythme des claquements chaotiques de la porte libérée de toutes entraves.

      A l’étage, aux hurlements lugubres du vent se joignent l’inquiétant hululement de quelques patients. Ces cris scandent la quotidienneté de mes journées passées ici, cloîtré dans cette funeste geôle. Parfois mon désespoir transpire tant, que même mon irascibilité m’insupporte ; une rage profonde m’emporte, et mes longs gémissements se joignent de concert aux autres.

      La porte s’ouvre précipitamment. Un bataillon de deux hommes et une femme fait irruption dans la pièce et, tandis que les assistants m’immobilisent au sol, l’infirmière d’un geste théâtral me plante une seringue dans le bras. Une vive brûlure se fait sentir à mesure que le venin parcourt mon réseau veineux et, rapidement, me plonge dans un état amorphe et de bête béatitude.

      Souvent la nuit, une infirmière corpulente brandissant triomphante une énorme seringue, hante mon sommeil agité. D’une brève poussée, un jet d’anesthésiant s’échappe de l’aiguille et retombe au sol en une nuée de gouttelettes. Un rictus de satisfaction déforme son visage. Sa tête couverte d’une ridicule coiffe se penche sur moi et, soudainement, une terrifiante poitrine, comprimée dans l’échancrure d’une blouse trop étroite, obscurcit mon champ de vision.

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

  • Station-service (PART V et fin de l'épisode)

      Mes yeux ne rencontrent pas le bar. C’est incompréhensible ! Pourtant je tiens pour assuré, qu’en ces lieux, j’ai pris un café ; je reconnais les blouses blanches aux rayures orange que portent avec agrément les serveuses. Elles courent de table en table, échangent quelques mots avec les clients et leurs distribuent un frugal en-cas et quelques cachets !?

      Je n’aperçois pas non plus Elodie. Pourtant, elle pourrait m’expliquer la singulière disparition du bar. Je vais me renseigner auprès de ses collègues.

    « Je cherche Elodie, vous l’avez vu ?

    - C’est une patiente ?

    - Non, ce n’est pas une cliente, c’est la serveuse du bar !

    - Ah…je vois ! Je suis nouvelle ici. Elodie, je ne la connais pas. »

    - Il n’y a pas d’Elodie ici, me répond une autre.

    - Elodie ! Encore Elodie ! Vous n’avez que ce prénom à la bouche ! Oubliez Elodie, elle n’existe que dans votre pensée dégénérée ! » me clame sévèrement une troisième.

      Je tente une dernière fois auprès du petit rassemblement de femmes en blouse qui m’entoure. Mon téléphone portable sonne. Je le consulte. Sur l’écran s’affiche : « 12 messages en attente ». Je décroche :

    « Sí sé, eso hace tres días que me espera en Cádiz

    (Oui je sais, cela fait trois jours que tu m’attends à Cadiz)

    - Allons, monsieur, soyez raisonnable, il est temps de nous suivre.

    - Llego, no te preocupa. Más que un último pequeño problema que debe solucionarse.

    (J’arrive, ne t’inquiète pas. Juste un dernier petit problème à régler.)

    - Allez monsieur, lâchez cette chaussure et rechaussez-vous ! Venez maintenant, ne nous obligez pas à intervenir

    - Elodie ?! Enfin ! Vous êtes bien Elodie, n’est-ce pas ?

    - Restez calme, tout va bien se passer, je vous ai apporté aujourd’hui un joli cachet violet. Vous les préférez aux jaunes, n’est-ce pas ? C’est ce que vous m’aviez dit hier »

    Elle relève la tête, la suavité de son sourire me bouleverse à nouveau, son regard déborde de désir. Je rapproche mes lèvres. Ma langue tournoie dans sa bouche…

      Tout le monde s’agite autour de moi, se débat. Un sifflet strident résonne dans le hall, des hommes en blouse blanche accourent de toutes parts. Les clients s’affolent, crient, trépignent, m’encouragent de la voix, hurlent mon prénom.

    « Vas-y ! Fais-lui la peau ! Butte-la, la belle gosse ! »

    Des bras m’enlacent, me séparent vigoureusement du corps d’Elodie…

     

      Le clapet du judas de la porte s’est ouvert. Un faisceau lumineux illumine la pièce. Une paire d’yeux apparaît. Ce ne sont pas ceux d’Elodie. Le volet se referme, la pièce retourne à sa demi-pénombre. J’entends les voix s’éloigner dans le couloir.

    -  Il n’y a pas grand-chose à espérer. C’est incurable.

    - Après un tel choc, vous avez des nouvelles d’Elodie ?

    - Je ne vois pas de quoi vous voulez parler. Elodie ? Il n’y a personne de ce nom là dans notre clinique psychiatrique.

     

     

    (Fin de l'épisode...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

  • Station-service (PART IV)

      Je ne me souviens ni pourquoi, ni comment je me suis retrouvé dans cette pièce. J’ai la tête lourde. Je dois faire l’effort de me souvenir, de rassembler mes idées, de mettre de l’ordre dans ma pensée décousue. Reprendre le début de l’histoire, recaler les images du film : l’enseigne lumineuse de la station-service qui surplombe au loin, le voyant vert qui clignote sur le tableau de bord, la voiture qui se déporte sur la droite pour emprunter la voie de décélération…

      Je quitte la voiture. Il fait encore nuit. Il bruine, la chaussée luit sous les lumières de la station. Non, il ne pleut pas, un vent frais balaie l’aire d’autoroute. Je suis face au distributeur de carburants. Son apparence me laisse dubitatif. Une sensation étrange, que je ne saurais définir de prime abord, me saisit. Il présente un aspect inhabituel… Il n’est pas pourvu de tuyaux ! Sur l’écran numérique de l’automate, défile une instruction que je peine à lire : «… Sélectionnez votre boisson et insérez votre monnaie … » Je ne comprends pas les images indomptables qui défilent sous mes yeux. Je ne suis pas en mesure de les analyser ; mon esprit est par trop confus.

      Je franchis le seuil de la boutique de la station-service. Un coup d’œil à droite pour vérifier l’emplacement des toilettes ; je suis en face des pissoirs. Je me vois descendre la fermeture du pantalon, sortir l’organe, décalotter, pisser… Comment puis-je me voir ? Là, face à moi, il y a une glace. Un robinet équipe la vespasienne. Un robinet ?! Une glace, un robinet, mais c’est un lavabo alors !

      Un homme entre, il se dirige vers les urinoirs. Des yeux, je le suis dans le miroir. Il a le torse dévêtu. Non, il porte une veste grise ; c’est moi qui suis torse nu. Il me regarde d’un œil bizarre. Il pue. Il sort un rasoir. Non, c’est moi qui me rase, qui urine. Non ! Je…je ne sais plus. Je me rase ou j’urine ? La situation me fuit, j’en perds le contrôle. Tout s’emmêle dans mon esprit. Lui c’est moi ou moi c’est lui ?

      Je m’esquive. Face à moi, se dresse le bar. Le bar ? Il n’y a pas de bar ! Je m’égare, probablement est-il établi ailleurs. D’un mouvement circulaire je scrute avec minutie l’immensité de la salle d’où sourd un constant brouhaha. Elle est aménagée d’une multitude de petites tables. Des gens attablés discutent avec pétulance autour d’une boisson chaude, d’un jeu de cartes ou de petits chevaux. D’autres personnes, comme des ombres chancelantes, déambulent en d’incessantes allées et venues le long des travées de tables, marmonnant parfois d’incompréhensibles dialectes secrets ou, soudainement, s’esclaffant de faits perceptibles que d’elles seules. D’autres encore somnolent dans des fauteuils agencés autour d’un poste de télévision qui diffuse une émission de variété. Une tenace impression de grand désordre, de délaissement suinte des murs de l’enceinte.

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.