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au chat et à la souris

  • Au chat et à la souris (PART IV et fin de l'épisode)

      Ce matin, ses pas ne résonnent pas de la même façon, ils sont plus saccadés. Ce ne sont pas ceux coutumiers de mon infirmière. Elle doit être beaucoup plus jeune. Elle manque probablement d’expérience, peut-être est-ce sa première mission. Je dois m’imposer d’emblée, me faire respecter, édicter ma loi. Il faut qu’elle sache qu’on ne peut l’enfreindre délibérément, qu’elle comprenne qu’on n’entre pas impunément dans mon antre.

      Trop insouciante, ne l’a-t-on prévenue ? Un instant, je reste interloqué à la vision de ce bras qui, interminablement, affleure le sol, tergiverse, hésite à lancer l’écuelle. Une victoire aussi facile ne peut me satisfaire. Puis, gagné par une émotion naissante, je succombe, sourd à de vaines résistances, au charme de cette peau mate piquée de quelques pépites de beauté, à la délicatesse de ces longs doigts déliés de violoniste, à la ciselure féminine de ses biceps.

      Je m’agenouille et saisis son poignet ténu. Instantanément un tressaillement accompagné d’un petit cri de stupeur parcourt son bras. Elle ne se débat pas, ne cherche pas à desserrer l’étreinte. Son bras se fige, se rigidifie, son pouls s’accélère, semble cahoter à mesure que la peur l’assaille. Mes lèvres s’égarent émues sur le duvet brun de l’avant-bras, épanchent leur trouble au contact de sa douce peau ; mon nez hume l’effluve musqué de son épiderme.

      Machinalement mon pouce joue avec le métal d’un bracelet. Je relâche le poignet. Immédiatement le bras disparaît laissant une gourmette chue au sol. Je l’apostrophe, mais le bras ne réapparaît. Déjà je l’entends détaler dans le couloir. Je ramasse la chaînette, découvre son prénom gravé : « Vass ».  J’hésite, je ne sais qu’en faire, finalement je la glisse dans la poche de mon pantalon.

      Je pressens l’ombre d’une menace roder. D’un clic je place la gourmette dans mon panier d’objets. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai l’intuition qu’elle pourra resservir. L’orage tonne de plus belle, de grosses gouttes de pluie s’abattent sur les vitres. Une déflagration tombe à quelques mètres de là, la lumière vacille, l’écran s’obscurcit soudainement, puis la pénombre s’installe autour de moi.

    *

      FIN PROVISOIRE D’AUTOROUTE DANS 5 KM. Le panneau luisant dans le faisceau lumineux de mes phares surgit brusquement. Bon Dieu ! Ce n’est pas ce qu’indique le GPS. La pluie redouble d’intensité. J’aimerais bien m’arrêter à une station-service ; je suis au bout du rouleau. A l’horizon, je crois discerner une enseigne lumineuse du haut d’un pylône.

    (Fin de l'épisode...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

     

  • Au chat et à la souris (PART III)

      Je ne reçois plus guère de soins.  Je suis classé comme patient extrêmement dangereux. Une fois par jour la trappe située en bas de la porte de ma cellule s’entrouvre. Brièvement un bras point et fait glisser sur le sol une écuelle de nourriture jusqu’au milieu de la pièce. Je le reconnais, c’est souvent le même, velu, dodu, bestial mais malgré tout féminin.

      J’entends ses pas résonner dans le couloir, se rapprocher de la porte. Sciemment elle alourdit sa démarche, en accentue le bruit, pour me signaler qu’elle arrive, pour me prévenir de me tenir prêt, qu’il serait dommage que je sois assoupi, afin que le jeu puisse se dérouler dans les règles de l’art, à égalité de chances car c’est un moment de la journée très attendu.

      Je me poste près de la porte et guette l’apparition de son bras. De l’autre côté,  elle se méfie. C’est à qui sera le plus vif ! Elle a le privilège d’engager la partie. J’entends sa respiration forcir, puis se bloquer au moment crucial où elle s’apprête à jeter son bras dans l’arène. J’affectionne ce moment bref qui précède l’agissement où chacun, de part et d’autre de la paroi, retient son souffle, épie le moindre bruit indicateur. J’aime entendre le tambourinement du cœur s’emballer dans la poitrine, la gorge se resserrer, l’adrénaline s’emparer du corps. A peine le bras jaillit-il que mon pied tente d’écraser sa main.

      La partie se déroule toujours en deux phases. La seconde, la revanche, quand elle fait rouler la bouteille d’eau, est plus tactique ; deux choix s’offrent à elle : renvoyer immédiatement la bouteille et profiter d’un effet de surprise ou observer un temps d’attente plus ou moins long et se retrouver dans la situation précédente, lors du premier jet. C’est une question de stratégie dont elle a la maîtrise ou la main.

      Je gagne rarement face à cette joueuse aguerrie. Je suis persuadé qu’ils m’envoient la championne du monde de la clinique, la plus expérimentée, la plus habile. Elle a l’avantage de s’entraîner beaucoup plus que moi avec le grand nombre de patients à servir.

      En de rares moments d’égarements, je parviens à tromper sa vigilance. Je remporte la partie et nous sommes deux à hurler d’un même cri : elle de douleur et moi de joie. Mon talon, telle une masse tombe lourdement sur sa main et la tue sur le coup comme on écrase une araignée se défilant sur le sol, puis j’aplatis consciencieusement ses doigts en m’essuyant méticuleusement les pieds. En général dans ces cas là, le jeu s’interrompt et quelques minutes plus tard j’ai droit à l'intervention de la brigade piqûre.

      Ce matin, ses pas ne résonnent pas de la même façon…

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.

  • Au chat et à la souris (PART II)

    Sa tête couverte d’une ridicule coiffe se penche sur moi et, soudainement, une terrifiante poitrine, comprimée dans l’échancrure d’une blouse trop étroite, obscurcit mon champ de vision.

     

      Sous la pression, le bouton cède et déverse un flot de chair difforme qui se balance et s’entrechoque dangereusement au-dessus de mes yeux. Le ballottement perd de l’ampleur et finit par se figer dans un précaire équilibre. Je regarde avec inquiétude les deux énormes seins en forme d’obus suspendre leur survol de reconnaissance et s’avachir brutalement contre mon visage, à gorge déployée.

      De rage, je la mords à mort. Sauvagement, mes dents carnassières saisissent leur proie, s’acharnent sur elle, ne la lâchent pas. Elles s’enfoncent profondément dans la matière flasque, la lacèrent, l’arrachent par lambeaux, déchiquettent la chair sanguinolente, recrachent un bout de téton caoutchouteux et peu comestible. L’infirmière beugle, comme jamais un humain n’a encore hurlé.

        Je me complais dans la plus complète inactivité et la plus grande solitude. Mes journées s’étirent interminablement dans ce huis clos avec moi-même. Je n’ai rien à faire, je n’ai rien à penser, juste à entretenir mon corps pour qu’il ne défaille, à occuper mon esprit pour qu’il ne déraille. La pièce doit mesurer tout au plus dix mètres carrés ; pas facile de se dépenser physiquement et de s’évader intellectuellement dans ces conditions.

      Pour conserver la forme, je cours dans la pièce, je longe les murs, à petites foulées ou sautillements, des heures entières. Cette activité m’aide à survivre, à sentir mon cœur battre, mon souffle souffrir. J’alterne les courses, dans le sens des aiguilles d’une montre ou l’inverse. Je fais des étirements, des pompes, des assouplissements, parfois même des figures acrobatiques. C’est le seul moyen que j’ai pour entretenir mon corps.

      Quand à mon esprit, il est bien incapable de penser quoi que ce soit. Trop d’interrogations demeurent. Je ne connais  toujours pas la raison de mon placement. La rumeur affirme que j’ai butté une fille. Butté ? Oui, une belle gosse ! Une belle gosse ? Oui, une serveuse de cafétéria.*

      Au plus profond de mes souvenirs, je ne parviens pas à visualiser la scène. Les images qui défilent dans ma mémoire restent désespérément opaques, seule subsiste la bande son. Cela commence toujours par la cacophonie d’une foule agitée, puis une voix cristalline s’élève et prononce une phrase en forme de sentence qui indéfiniment se répète par vagues dans mon esprit : « Butte-la, la belle gosse ! ». L’excitation est à son comble quand brutalement des coups de sifflets stridents surgissent de toute part et se réverbèrent douloureusement dans ma tête.

      Je ne revois pas la fille, son visage, ses lèvres, pourtant je ressens encore son souffle chaud qui me brûle la poitrine. J’entends ses aspirations plaintives. Cela provoque en moi une érection immédiate. Oui, il a dû se passer quelque chose de grave.  Ai-je été jugé pour cet écart ou interné d’office ? Je ne me souviens de rien, et cela m’inquiète.

     

     

    * voir l’épisode précédent « Station-service ».

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés. 

     

  • Au chat et à la souris (PART I)

      Bienvenue à la Clinique Psychiatrique Château du Grand Air annonce la pancarte défraichie à l’entrée du parc. Il y a quelques temps encore, fleuron en matière de soins des troubles psychiatriques aigus et subaigus, elle arborait fièrement ses façades de briquettes roses percées de grandes fenêtres ornées de pierre de taille blanche dans le plus pur style Renaissance. Autre temps, autres mœurs. Jouxtant une autoroute récemment tracée, à l’écart de toutes habitations alentours hormis une station-service incongrument construite sur une parcelle de son parc, nul ne saurait affirmer si cet établissement était toujours en activité.

      Une vilaine risée balaie le parc laissé à l’abandon. Par rafales rageuses, le vent chargé de matières mortes fouette les vitres de la monumentale porte d’entrée qui finit par céder à un ultime coup de boutoir. Une horde indisciplinée de feuilles brunâtres s’engouffre dans le grand hall, en investit chaque coin et recoin, gravit en tourbillons désordonnés les marches du majestueux escalier de pierre, au rythme des claquements chaotiques de la porte libérée de toutes entraves.

      A l’étage, aux hurlements lugubres du vent se joignent l’inquiétant hululement de quelques patients. Ces cris scandent la quotidienneté de mes journées passées ici, cloîtré dans cette funeste geôle. Parfois mon désespoir transpire tant, que même mon irascibilité m’insupporte ; une rage profonde m’emporte, et mes longs gémissements se joignent de concert aux autres.

      La porte s’ouvre précipitamment. Un bataillon de deux hommes et une femme fait irruption dans la pièce et, tandis que les assistants m’immobilisent au sol, l’infirmière d’un geste théâtral me plante une seringue dans le bras. Une vive brûlure se fait sentir à mesure que le venin parcourt mon réseau veineux et, rapidement, me plonge dans un état amorphe et de bête béatitude.

      Souvent la nuit, une infirmière corpulente brandissant triomphante une énorme seringue, hante mon sommeil agité. D’une brève poussée, un jet d’anesthésiant s’échappe de l’aiguille et retombe au sol en une nuée de gouttelettes. Un rictus de satisfaction déforme son visage. Sa tête couverte d’une ridicule coiffe se penche sur moi et, soudainement, une terrifiante poitrine, comprimée dans l’échancrure d’une blouse trop étroite, obscurcit mon champ de vision.

     

    (A suivre...)

    Jack Monster, © 2008, tous droits réservés.