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  • Des doigts de fée

      Je suis entré confiant et je fus accueilli le sourire aux lèvres. Elle était belle comme on me l’avait décrite : brune, les yeux noirs, le teint mat, les traits fins, l’allure élancée et de grandes mains sculpturales. On disait d’elle qu’elle avait des doigts de fée. Quand ceux-ci s’approchèrent pour m’aider à me dévêtir, je sentis ma joue irrépressiblement se tendre vers eux, quérir la douceur d’une caresse, s’apprêter à frémir à leurs contacts quand ils dénoueraient mon écharpe.

     

      D’une invite, elle me pria de la suivre. Le fauteuil s’inclina, un jet d’eau tiède aspergea mes cheveux. L’eau était à température idéale. L’invraisemblable ballet des mains pouvait entamer sa ronde. Mille doigts s’appliquèrent à butiner délicatement mon crâne en de furtives palpations, à masser méthodiquement le cuir chevelu en de lents mouvements circulaires en forme de spirale. J’avais la sensation qu’ils désiraient entrer en moi, s’infiltrer à travers les pores de ma peau, forer les os de mon crâne. Quand ses doigts se mirent à presser mes tempes, les pouces collés sous mon menton, je sentis la chaleur de la paume de ses mains remonter le long de mes joues et je compris qu’irréfutablement elle me tenait.

     

      Livré à ses mains, j’étais à sa merci, vaincu, tant son sourire m’était désarmant, tant l’emprise de ses mains sur mon cerveau annihilait toute volonté de résistance de ma part, tant ses attouchements me submergeaient de plaisir et m’incitaient à rester le dos plaqué contre le dossier du fauteuil. Comment lui faire entendre qu’elle devait s’interrompre avant que l’inévitable arrive, que l’irréparable ne se produise, que l’inénarrable ne se réalise ? Comment résister, leurrer mon corps en incitant mon esprit à penser à autre chose alors que le bonheur m’envahissait par vagues successives, s’amplifiant toujours et encore ?

     

      Ses cheveux maintenant caressaient mon visage, balayaient mon nez. L’odeur qui en émanait me tournait la tête, m’emportait dans un autre monde, m’aspirait dans un tourbillon de douceur jamais atteint. Je ne pouvais me réfréner plus, refuser cette félicité qui gonflait en moi, cette bulle prête à exploser en salves libératrices, à éclabousser et inonder alentours. La honte allait s’abattre sur moi, les serres de la justice m’agripper, les grilles de la  prison se refermer sur moi.

     

      Je vis son regard se porter sur l’objet délictueux. Elle sourit, semblant satisfaite de son effet. Bien que le massage crânien soit compris dans le shampoing, comme cela était stipulé sur l’écriteau, le doute s’insinuait dans mon esprit. Opérait-elle ainsi avec chacun de ses clients ? Le faisait-elle par jeu, par défi ou plus sournoisement par malin plaisir ? D’un regard plaintif, je la suppliai de mettre fin à son envoûtante torture. A nouveau elle sourit, s’empara d’une serviette éponge et entreprit de me sécher les mèches avec une tendresse qui aurait pu s’assimiler à de l’affection.

     

      Le miroir réfléchissait son image. Chacun de ses gestes et mouvements étaient observés, chaque attitude et expression sujettes à analyse, le moindre souffle, tressaillement, battements de cils traqués, tout frémissement de vie qui aurait pu m’informer. Rien ne transpirait. Elle était belle comme on me l’avait décrite : brune, les yeux noirs, le teint mat, les traits fins, l’allure élancée et de grandes mains sculpturales. On disait d’elle qu’elle avait des doigts de fée…

     

        Je me suis réveillé en sursaut, la tête lourde, l’esprit embrouillé. Ma main s’est portée sur mon front brûlant et a voulu caresser mes cheveux pour se rassurer mais elle n’a rencontré qu’un champ de herses. A son contact, elle s’est écorchée. Un sang jaune fluorescent a commencé à perler puis à couler goutte à goutte sur mon front embrasé dans une effervescence sifflante de vapeur. Je me suis relevé d’un bond et j’ai plongé mon visage contre le miroir. Un imbroglio de fils électriques, emmêlés les uns aux autres, telle une forêt vierge, peuplait le sommet de mon crâne. A côté de moi, un fouillis de composants électroniques débordait d’un tiroir entrebâillé, une fine paire de gants en latex blanc avait été négligemment délaissée sur le bureau où reposaient quelques notes et schémas griffonnés nerveusement dont seul le titre apparaissait lisible : Tentative d’adjonction de sentiments humains dans un androïde – version 5.01.2 – par le professeur Josiane Millet.

     

     

    Jack Monster, © 2009, tous droits réservés.